Le logiciel libre est une forme de distributisme

Date de publication : 25-10-2025

Auteur : Xavier Lanne

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Cet article est inspiré d’une vidéo de Steven Foster qui propose un parallèle entre le système distributiste et Linux.

Le distributisme est, depuis la libéralisation des marchés (vers la fin du 18ᵉ siècle), une solution laissée de côté, ignorée, raillée. Il serait, selon ses opposants, au mieux utopique, irréaliste pour d’autres, ou encore contraire à la liberté d’entreprendre sans contrainte.

Pourtant, à bien des égards, on retrouve dans la philosophie du libre un rapprochement important avec le distributisme. Le libre pourrait-il nous aider à mieux appréhender et considérer la voie du distributisme ? C’est ce que semble affirmer le YouTubeur dès son introduction.

Qu’est-ce que le distributisme ?

Le distributisme […] est une philosophie économique de « troisième voie » entre le socialisme d’État et le capitalisme, formulée par les penseurs catholiques Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) et Hilaire Belloc (1870-1953) comme une tentative d’appliquer les principes de justice de la doctrine sociale de l’Église catholique romaine, en particulier ceux établis dans l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, développés dans l’encyclique Quadragesimo Anno du pape Pie XI et l’encyclique Centesimus Annus du pape Jean-Paul II.

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Concrètement, le système distributiste consiste à répandre la propriété des moyens de production autant que possible dans la population. Il s’oppose donc au socialisme, qui centralise la propriété des moyens de production dans les mains de quelques bureaucrates, et au capitalisme, qui les centralise auprès de quelques riches personnes. « Cette distribution large ne s’étend pas à toute propriété, mais seulement aux biens de production ; c’est-à-dire la propriété qui est employée pour produire la richesse, tout ce que l’homme requiert pour survivre. Cela inclut la terre, les outils, etc. » > « Trop de capitalisme ne signifie pas trop de capitalistes, mais pas assez. » > > Chesterton

Être propriétaire de son outil numérique

Depuis quelques années, on observe une vague massive d’utilisateurs délaissant Windows pour Linux. Steven Foster associe cela à des raisons économiques. En effet, par nature gratuit, le logiciel libre permet aux utilisateurs de faire fonctionner leur ordinateur sans avoir à payer une entreprise. La politique de mise à jour de Microsoft vient renforcer cette tendance ces derniers mois. De nombreuses personnes dénoncent à juste titre le totalitarisme de Microsoft, qui impose au monde entier l’usage de matériels récents pour bénéficier des mises à jour de sécurité essentielles, bientôt disponibles plus que sur Windows 11.

Une autre raison qui pousse de plus en plus les utilisateurs à quitter Windows pour Linux est la façon dont Microsoft impose certaines fonctionnalités : l’IA avec Copilot, OneDrive qui synchronise les fichiers automatiquement, ou encore l’obligation d’utiliser un compte Microsoft en ligne pour simplement utiliser Windows. Imaginez que vous achetiez un réfrigérateur, mais que pour y mettre des aliments, on vous impose de créer un compte en ligne. C’est aberrant ! Pourtant, c’est exactement ce que fait Microsoft avec votre ordinateur.

Ces exemples nous imposent un constat : l’utilisateur n’est plus véritablement propriétaire de son matériel informatique. Ou plutôt, il n’est propriétaire que de l’aspect matériel, et non de l’aspect logiciel nécessaire au fonctionnement de l’ordinateur. Est-on réellement propriétaire de son smartphone ou de son ordinateur quand une entreprise peut détériorer à distance le fonctionnement de notre appareil ? Puisque les entreprises peuvent imposer des règles quant au fonctionnement de la machine par le biais du contrôle du système d’exploitation, on peut dire que la personne est dépossédée de son outil de production.

En ce sens, les logiciels propriétaires – pour ceux qui sont essentiels en tout cas – sont contraires à la propriété des moyens de production. En revanche, les logiciels libres donnent par nature la pleine propriété de l’outil à leur utilisateur, puisqu’il peut en faire ce qu’il veut : le configurer, le copier, le modifier.

Les quatre piliers du logiciel libre sont d’ailleurs conçus pour préserver la liberté de l’utilisateur à posséder son outil de travail :

  1. liberté d’exécuter le programme,
  2. liberté d’étudier le fonctionnement du programme,
  3. liberté de redistribuer des copies du programme,
  4. liberté d’améliorer et de distribuer le programme.

La décentralisation, commune au logiciel libre et au distributisme

La décentralisation va souvent de pair avec la philosophie portée par la communauté du logiciel libre. En effet, si l’utilisateur cherche à être propriétaire de son matériel informatique avec le logiciel libre, il est assez cohérent de vouloir être également propriétaire de ses plateformes en ligne : cloud, blogs, réseaux sociaux, etc.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette conception de l’économie du logiciel se recentre naturellement sur l’humain. L’utilisateur n’est plus rabaissé à un simple numéro dans une base de données, à un simple compte invisible parmi tant d’autres. Au contraire, il est perçu comme un être humain qui utilise un service… Service que l’utilisateur conçoit comme mis en œuvre par un être humain concret et accessible. La relation entre l’hébergeur et l’utilisateur n’est pas une relation de client à entreprise comme dans la conception actuellement répandue, qui permet un pouvoir de l’un sur l’autre. La relation se construit davantage de personne à personne.

Il en va de même pour les créateurs de contenu, beaucoup moins centrés sur la recherche du nombre de vues et de captation de l’attention des consommateurs que sur la proposition de contenu profitable au plus grand nombre. On remarquera d’ailleurs que l’économie de l’attention émerge naturellement sur les réseaux sociaux propriétaires, poussant les personnes à se manipuler les unes les autres pour capter quelques secondes de cerveau en plus. Or, cette économie de l’attention était déjà dénoncée il y a un siècle par Chesterton lui-même. Comme quoi, le problème est bien structurel.

Le cloud, dépossession ultime de la propriété

Steven Foster remarque très justement que la tendance des utilisateurs à se tourner vers les solutions cloud ou SaaS (Software As A Service, service en ligne) plutôt que de préférer les logiciels installés sur leur appareil est un indicateur majeur montrant la dépossession progressive de la propriété privée.

Avec le cloud propriétaire – Office 365 (imposé par Microsoft depuis quelque temps), Microsoft 365, Google Drive, iCloud, etc. –, on n’est pas seulement dépossédé de son outil de production – l’ordinateur et les logiciels –, mais aussi de ses données personnelles.

Avec les logiciels en ligne, l’ordinateur n’est plus qu’un écran d’affichage qui ne traite rien. Plus rien n’est effectué sur la machine elle-même, si ce n’est récupérer ce qui se trouve sur les serveurs d’une entreprise à l’autre bout du monde.

Les utilisateurs ne possèdent même plus leurs propres fichiers, ils n’exécutent même plus leurs propres logiciels ! Pourtant, le vidéaste se remémore son premier téléphone, sa première clé USB et le sentiment positif qu’il avait d’être propriétaire de son propre stockage de fichiers. Tout cela est en train de disparaître au profit de quelques entreprises.

La dépossession est totale.

La diversité émergeant du distributisme

Chesterton dénonce à juste titre une trop grande standardisation qui aboutit toujours à un nivellement de la culture et de l’identité. Si tout le monde possède exactement le même produit, comment peut-il le personnaliser pour le rendre unique, propre à sa vision du monde ?

Le logiciel libre favorise cette saine diversité. Si certaines normes assurent la compatibilité, le logiciel libre permet la coexistence de milliers d’applications semblables, développées avec des philosophies, des conceptions du monde différentes. Il existe plusieurs centaines de distributions Linux, chacune avec sa propre vision du monde, répondant à des besoins différents !

C’est pourtant une évidence : il n’y a pas une seule façon de bien faire les choses qui conviendrait à tout le monde en même temps. Chacun peut trouver la solution qui répondra au mieux à ses besoins, ou créer sa propre solution. Cette liberté est toute naturelle lorsque l’utilisateur est pleinement propriétaire de son outil. On notera d’ailleurs qu’on parle de distribution Linux, car chacun possède réellement et concrètement sa propre installation.

Conclusion

Probablement que peu de personnes ont conscience du caractère fondamentalement distributiste du logiciel libre, comme le faisait remarquer Steven Foster. Mais Linux et les logiciels libres s’inscrivent de fait dans une conception distributiste de l’économie. Même si on peut constater une forte présence de personnes proches du socialisme ou du communisme dans les « communautés libres », la logique économique s’inscrit davantage dans le distributisme, puisqu’elle pousse les utilisateurs à être propriétaires de leur machine, de leurs logiciels et de leurs données.

Ainsi, nous soutenons l’idée qu’utiliser des logiciels libres, s’auto-héberger et contribuer à cette vision, qui vise à être propriétaire de nos technologies, s’inscrit directement dans une vision chrétienne de l’économie.

On ne prétend pas ici que ce système est parfait et sans défaut. Ni qu’il est transposable tel quel à l’échelle d’une société. On prétend simplement qu’il est meilleur que ceux largement répandus aujourd’hui. Le logiciel libre est donc la preuve concrète qu’une alternative existe et fonctionne.

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